lundi 24 août 2015

Les alpinistes : ces héros … d'opérettes !

Un texte qui veut remettre certaines choses en place ; l'humour n'y suffisant pas toujours.

En montagne : lions et moutons ?

Dans un des refuges les plus fréquentés des Alpes, se trouve affichée cette maxime : ''Mieux vaut vivre 10 ans comme un lion que 100 ans comme un mouton''. On peut dire sans crainte de se tromper que cette sentence est assez partagée dans le monde des grimpeurs de haut niveau et de leurs nombreux épigones. On peut se demander pourquoi.

Cette adhésion est basée sur une analogie trompeuse qui assimile l'alpiniste faiseur d'exploits à celui qui ne craint pas d'engager sa vie pour une cause noble, et dont la figure emblématique est le résistant ; résistant de toutes époques et en tous lieux, se dressant au péril de sa vie contre plus puissant que lui. Comparaison flatteuse qui emporte notre assentiment au premier abord, tant paraissent se recouvrir exactement les qualités de l'un et de l'autre, résistant et alpiniste. Passons ces qualités en revue.

Le résistant est courageux et il semble évident que l'alpiniste, qui fait frémir par ses audaces un public en mal d'héroïsme, le soit tout autant. Le résistant met sa vie dans la balance et la perd souvent, l'alpiniste quelquefois. Ils affrontent tous deux un 'ennemi' évidemment plus grand qu'eux. L'un et l'autre sont souvent seuls ou en comité restreint, agissant dans la solitude due à la clandestinité de ses actions pour l'un, par le lieu de ses réalisations pour l'autre. Ils sont tous deux à l'écart de la multitude par la nature particulière de leurs exercices respectifs, et de fait retranchés du quotidien, condamné à la discrétion et loin du public ; encore que cette caractéristique tende à s'affaiblir avec l'irruption des caméras miniaturisées dans le milieu des alpinistes.

Ainsi, forte de ces similitudes troublantes, se forge dans nos esprits une association naturelle entre les deux catégories. Association qui se trouve légitimement renforcée quand on sait que certains alpinistes ont aussi été d'émérites résistants. Évidemment qu'il y en eut. Là n'est pas la question. Association qui emporte aussi l'adhésion car qui rejetterait si avantageuse comparaison alors même que tout semble concourir à la valider ?

Mais il faut renoncer, nous autres alpinistes occasionnels ou de haut niveau, à cette illusion alors même qu'elle rehausse en nous notre estime de soi. Car au-delà de ces similitudes, une différence radicale existe entre l'alpiniste et le résistant, une irréductible divergence. Là où le premier engage sa personne pour un idéal qui le dépasse, là où il met sa vie en jeu pour d'autres, le second ne fait que suivre son goût personnel. Choix légitime certes que nul ne contestera, de là à se prendre pour un 'lion'… Les actes de l'un auront, s'il y réussit, des conséquences concrètes sur la vie de ses concitoyens ; quant au plus grand exploit montagnard il se bornera, à quelques exceptions près, à provoquer l'admiration de ses congénères et à susciter quelques vocations. On proposera cette définition du courage pour signifier cette différence de nature : ''Le courage consiste à faire quelque chose qu'on n'aime pas et que personne d'autre ne veut faire''. Pas de quoi enflammer les foules en cette époque d'ego survitaminés en mal de représentation.

Après avoir accompli leur tâche, on parle aussi de devoir, certains 'lions' de la Résistance s'en sont retournés à leurs activités, peau de mouton sur le dos, pour vivre paisiblement jusqu'à leurs vieux jours. 

Toi qui prochainement franchira la porte de ce refuge ou d'autres, rappelle-toi qu'il est souvent présomptueux de s'imaginer en 'lion'. Mais la conclusion laissons-la à ces deux personnages croisés dans un bar de la vallée :

– "Mieux vaut une vie courte et intense qu'une vie longue et ennuyeuse'' qu'ils disent, les alpinistes de l'extrême.
Moi j'ai décidé de m'ennuyer longtemps et de garder l'intense pour les dix dernières années.
Comme ça, t'auras tout connu.

(Extrait de 'Brèves de refuge')