vendredi 18 mai 2012

"Les trois mousquetons : L'expé"

« On a combien à l’altimètre ? » demande Gégé. Après avoir secoué la fine pellicule de givre qui recouvre son duvet et sorti un boîtier métallique de dessous plusieurs couches de vêtements, Claude répond : « Plus ou moins 6300 mètres.
– Tu vois, je n’imaginais pas qu’on puisse autant s’emmerder à 6300 mètres d’altitude. »
Trois jours d’immobilité sous la tente avaient transformé la section d’assaut de l’équipe des Français en un ramassis de vauriens contrariés et maussades. L’image du sommet s’était racornie à celle d’un indiscernable repli de terrain à la surface du globe, relief infécond et dérisoire. Descendre le plus loin possible de cette taupinière inhospitalière. Retrouver le camp de base, la tente collective, ses chants, Dina, Irina, Sérafim, le réfectoire et ses patates bouillies, leur apparaissait désormais comme le seul horizon enviable. La montagne, sans le rêve, n’est qu’une géologie abstraite et périlleuse.

mercredi 16 mai 2012

De l'humour et de la gravité

Au fil du temps qui passe, le corps se fait pesant. L'humour est alors le recours pour gagner en légèreté. La gravité est affaire de jeunesse.

samedi 12 mai 2012

Les fourmis et la citadelle

Yann Picq ©

L'interview de Yann Picq et de quelques autres …

Saint-Nizier.Com : Qui êtes-vous Daniel ?
Daniel : Je suis un des « trois mousquetons », qui sont quatre bien entendu, inventés par Yann Picq. Ce roman à caractère picaresque a comme ambition d’être léger ; le filon du pathos en littérature de montagne ayant déjà beaucoup servi. Yann Picq a donc sorti sa plume la plus humoristique pour brosser des portraits et dépeindre des situations, loufoques, cocasses, et pourtant diablement réalistes. Par la même occasion, il a fait appel à moi et à ma plume, car j’en suis une à ma façon… mais vous le découvrirez au fil des pages ! Mes comparses sont Raph, Claude et Gégé.

Saint-Nizier.Com : Et vous Yann Picq, qui êtes-vous ?
Yann PICQ : Je suis l’auteur, la vraie plume de ce récit. Décidément, les personnages de fiction se prennent parfois pour plus qu’ils ne sont ! J'ai puisés ces personnages au fil de ma vie, et je les ai animés, mis en situation. Chacun des épisodes de ce récit qui a pour fil conducteur la montagne, conte une histoire, avec ses rebondissements, ses héros du jour et même sa morale !

Saint-Nizier.Com : Pourquoi dans votre écriture cette recherche du mot juste ?
Yann PICQ : Si en ouvrant un livre, je retrouve ce qui fait le quotidien de mes conversations de tous les jours, autant discuter avec mes voisins, au moins j’aurai peut-être un coup à boire à y gagner. Donc, dans un livre, l’utilisation d’un vocabulaire précis, me paraît une politesse élémentaire, l’outil indispensable pour faire plus qu’ânonner des clichés. Le seul obstacle véritable au plaisir de lecture n’est pas un vocabulaire trop riche mais le brouillard confus d’un langage passe-partout. La lecture ne doit pas être une course de vitesse, mais l’immersion dans un monde partagé entre auteur et lecteur. Je sais qu’aujourd’hui la mode est à la simplification, à l’aplanissement des difficultés, au MacDo littéraire. Je préfère m’adresser aux gourmets qui ont horreur de se presser…


Saint-Nizier.Com : Que recherchez-vous en publiant un livre ?
Yann PICQ  : Ecrire me permet de rendre hommage et de remercier indirectement tous les auteurs que j’ai lus, appréciés, et qui m’ont appris des choses par-delà ma petite expérience de la vie. Il me permet d’être utile à mon tour, ici sur un mode plaisant. Quant à la publication, c’est une récompense, car ça représente l’assurance d’être lu, au moins par quelques-uns ; en plus que d’avoir sa photo dans St-Nizier.com, ce qui fera la fierté de ma mère !
Raph :  Et pourquoi je l’aurais pas ma photo, moi, dans St-Nizier.com ?


Saint-Nizier.Com : Pardon, mais vous êtes qui vous ?
Raph : Ben je suis Raph, un des mousquetons, et je vois pas pourquoi y en aurai que pour les autres. Ce Yann Picq… y se prend pour qui ? Sans mon personnage, son livre y vaudrait pas tripette.
Claude : Raph tu exagères, t’en mêle pas, c’est déjà assez compliqué comme ça pour les lecteurs.

Saint-Nizier.Com : Alors vous, c’est Claude je suppose, le leader de la troupe ?
Gégé : Non, le leader, ce serait plutôt moi. Claude ne fait que diriger les opérations en montagne. Pour le reste, c’est moi l’âme du récit.
Raph : “L’âme du récit !” Tu débloques là. C’est pas parce que t’es le chouchou de l’auteur qu’il faut la ramener avec tes airs de “je sais tout”.
Gégé : Pure Jalousie.
Daniel : Note, il a pas tort le Raph, des fois tu parles de trop.
Gégé : C’est sûr, s’il fallait compter sur vous pour les dialogues…
Claude : quand je pense que je fais de la montagne pour avoir la paix !

Yann PICQ : bon les gars, on se calme. Je crois que là ça déborde du cadre de mon interview.
Claude : ton interview ? l’auteur… faudrait voir à redescendre sur terre, c’est pas ton interview. C’est aussi la nôtre.


Saint-Nizier.Com : Messieurs, un peu de calme… une dernière question pour …
Raph : ta question, tu peux te…
Daniel : t’as raison, c’était bidon cette interview, on aurait pas dû venir.
Claude : je propose de prendre de la hauteur…
Gégé : je viens aussi…
Raph : d’accord, mais tu la fermes.
Yann PICQ : excusez-moi chers lecteurs, j’y vais aussi, sans moi, ils risquent de faire n’importe quoi.

Saint-Nizier.Com : Un mot de conclusion ? Une suite peut-être à ce premier opus ?
Yann PICQ : La suite est effectivement en cours. Mais avant, je dois en toucher deux mots à mes mousquetons. Peut-être que j’envisagerai pour ma prochaine production un registre différent. Pourquoi pas un polar ? Au moins quand un personnage devient insupportable, on peut toujours l’éliminer…

A la vie, à l'humour

Nos vies sont bordées d'éternité. Pourvu que les coutures tiennent !

vendredi 11 mai 2012

De la ponctuation

Une phrase mal ponctuée, c'est une chemise à laquelle il manquerait ses boutons. La pensée s'en trouve un rien débraillée.

Délicatesse d'écrivain

Ecrire permet de prendre la parole tout en ayant la délicatesse de ne jamais s'imposer. A tout moment le lecteur peut vous fermer le livre au nez.

jeudi 10 mai 2012

La revue L'Alpe gourmande de la suite…


Faites un vœu

Yann Picq ©

"Les trois mousquetons : Giacomo au sommet"

• Daniel, quelques mètres plus loin, commence à louvoyer vers une crevasse d’une démarche incertaine.
« Qu’est-ce qu’il fout ? s’alerte Gégé.
– Veut peut-être faire une photo », suggère Claude.
Gégé, après s’être désengagé de son baudrier, s’empresse de rejoindre Daniel qui s’approche de ce qui est sans doute la seule crevasse du glacier digne de ce nom. Une belle tranchée bleuâtre aux bords de verre.
« Qu’est-ce que tu fous ? s’énerve Gégé en l’empoignant par la veste.
– Je sais pas c’que j’ai… j’suis pas bien… J’ai envie de me foutre en l’air ! pleurniche Daniel.
– C’est quoi ces conneries ? poursuit Gégé, qui commence à s’interroger sur les bienfaits des “compléments”.
– Li… hoquète Daniel.
– Quoi ? Tu veux ton lit ?
– Lili, Lili, j’veux ma Lili… Et il s’affaisse en sanglotant sur l’épaule de Gégé.
– Raph, sors-moi ta putain de trousse ! » hurle Gégé qui a horreur des épanchements sentimentaux.
Il ramène Daniel vers le traîneau sur lequel Giacomo émet un bêlement convulsif. Ce n’est plus un glacier, c’est un dispensaire. Arrachant la trousse des mains de Raph, Gégé explore son contenu et brandit un gros cachet rose.
« La pilule rose, ça te dit quelque chose ? »
Raph hésite.
« Rose, insiste Gégé, ça doit être pour le moral non ? »
Derrière eux, Daniel s’effondre en larmes dans les bras de Giacomo. Le vieillard, jusque-là aussi vivace qu’un lichen sur son rocher, se met à lui caresser la tête. Accordailles douteuses de Géronte et Sganarelle. Variante queer de La Vierge et l’Enfant. L’allégorie n’a pas le don d’émouvoir Claude, peu goûteux des mœurs interlopes. Montaigu s’avance et entreprend de séparer Roméo de son Julius.
« Reprends-toi ! » tempête Claude, peu rodé au conseil conjugal.
Daniel regarde autour de lui, hagard, cherche des yeux un horizon plus voluptueux, tombe sur Claude et reprend son pleurnichage exaspérant.
« Lili ! entonne l’un.
– Toinette ! enchaîne l’autre, inconsolable, bavant de plus belle sur la tête de son protégé.
– Faites quelque chose où je les assomme ! » menace Claude en se tournant vers les hommes de science en train de plombiner pour décider du remède à administrer. Finalement, le rose l’emporte : c’est le seul cachet présent en double exemplaire, et sa grosseur a l’air proportionnée au problème à résoudre.

Kairn.com fait rougir de plaisir les trois mousquetons

Triathlète en devenir

Yann Picq ©

"Les trois mousquetons : le triathlon"


• Gégé sourit à l’infirmière-secouriste qui lui assène des claques.
« Amenez-m’en un autre, celui-là commence à y prendre plaisir ! tonne d’une voix forte Marie-Madeleine, la responsable du poste de secours.
– Par ici Marie-Madeleine, j’en ai un autre qui va tourner de l’œil ! claironne un collègue.
– Je crois connaître une Marie-Madel… » commence faiblement Gégé dont la conscience erre entre passé, présent et futur.
Mais celle-ci n’en a cure. Déjà, elle se dirige d’un pas alerte, en dépit d’une silhouette courtaude, vers son prochain patient.
« Ne me touche pas, proteste faiblement le mécréant au bord de la syncope.
– Pour qui il se prend celui-là ? » s’étonne la matrone, outrée qu’on refuse ses soins.
Et d’une vigoureuse taloche, elle remet le récalcitrant dans le droit chemin, entamant illico sa thérapie de choc…

… Mais voilà que se profile devant Raph, se dandinant avec une fréquence pleine d’entrain, la croupe exubérante et musculeuse de Thora. « C’est un cul ! C’est une sphère ! C’est un globe ! Que dis-je, c’est un globe ? C’est une mappemonde ! » s’enthousiasme Daniel en découvrant le prodigieux fessier de la Viking. « Rien de mieux qu’un derrière rebondi pour réenchanter le monde », pense Gégé qui sent ses extrémités se défriper sous l’afflux d’un sang brutalement saturé en hormones. Ce n’est plus un réveil. C’est une résurrection. Claude, les mains serrées sur le volant, tente de se concentrer sur la conduite. Seul Raph, l’œil rivé à la roue arrière de la géante, semble indifférent au phénomène. Peut-être que son esprit, étourdi par les vapeurs délétères, s’égare-t-il à comprendre où est passée la selle de sa devancière ? Plus vraisemblablement, Raph, qui a forcé la mesure pour grignoter quelques places, est au bord de la rupture.
« Faudrait pas rester derrière trop longtemps… maugrée Claude à l’adresse de Daniel, tandis que son regard s’arrache difficilement à l’orbite de ce popotin hyperboréen. Dis-lui de la dépasser. »

Montagne-cool.com apprécie le "walking tantrique"

Isère Magazine parle des trois mousquetons


Chocard en vol totalement stationnaire

Yann Picq ©

"Les trois mousquetons : le néophyte"

• Le chocard survole le vallon de sa rectiligne impeccable. Dans la chaleur retrouvée du midi, l’air est un coussin moelleux et tiède sous les pennes frémissantes du voltigeur. Tout en bas, sur la ligne ivoirine du sentier dont les lacets se perdent en hésitation, deux silhouettes zigzagantes – un grand costaud suivi d’un petit malingre – balbutient le dessein toujours recommencé de l’alpinisme : une incertitude qui va quelque part. C’est à n’en pas douter le début d’une belle amitié.

Les montagnards de Skitour.fr aiment "Les trois mousquetons"

Ciel, une soucoupe !

Yann Picq ©

"Les trois mousquetons : le pic Beyle"

• La brume qui stationnait sur le glacier se déchire ; s'éparpille en nuées arachnéennes qui se dissolvent dans l'azur. À l'aplomb d'un plateau d'étain brillant, le sommet dévoile son cône, chantilly vanille, qui attend sa défloraison. Un grain de beauté, piqué juste sous l'arête terminale, en souligne la blancheur. Après ce brouillard cafardeux, cette apparition est saisissante. Se détachant de la ligne d'arête, la pointe sommitale se propulse d'un dernier coup de rein dans le bleu du ciel, lance de lumière dardée comme un défi à l'immensité. La beauté ne se discute pas, ni ne s'évalue ; elle s'éprouve. Elle est une évidence que n'entame pas la critique, n'est soluble dans aucune description. Hors d'atteinte et pourtant palpable, elle est un don fortuit. Troublante, apaisante, sa contemplation est à la fois une question et une consolation. Les quatre randonneurs, éprouvés par ces longues heures d'effort, restent un moment immobiles, recueillis comme au seuil d'un temple inconnu, barbare et magnifique.
— « Putain ! » siffle Raph, entre ses dents, qui est le premier à retrouver le sens de la parole.

Le grand timide

Yann Picq ©

"Les trois mousquetons : une nuit au refuge"


• Il leur semble qu'ils viennent à peine de s'endormir. L'aube pointe. L'unique fenêtre de la pièce se teinte d'un gris sale. Quelqu'un vient de pénétrer dans le réduit et referme vivement la porte derrière lui. Un chuchotement fébrile.
— « Réveillez-vous, il faut partir… vite… ». C'est Jenny.
Couchette du bas, Gégé qui somnolait, la tête appuyé sur son sac à dos, se dresse sur un coude.
— « Pourquoi ? »
— « C'est Rudy, il est enragé… »
— « Je croyais que ton chien était une chienne et qu'elle s'appelait Rex » bredouille Gégé, qui n'a fermé l'œil que par intermittence à cause de son pouce qui le lance.
— « Non, Rudy, c'est mon compagnon, et il est très en colère ».
Au même instant, on entend brailler du côté du dortoir principal.
— « Y sont où ces deux salopards que je leur casse la gueule ? »
Diatribe inamicale en cette heure, qui interrompt le ronflement de Daniel sur la couchette du haut, ainsi que le sommeil de la vingtaine de dormeurs du dortoir "Les marmottes". De l'agitation, des cris de protestation, un charivari du diable. Rudy est chassé à coup de lancers de chaussures. Les marmottes en ont apparemment fini avec l'hibernation.
— « C'est après vous qu'il en a » complète Jenny inutilement.
— « Je vais lui expliquer… » propose Daniel maintenant assis sur sa couchette, « c'est un malentendu ».
— « Non, je crois qu'au contraire, il a très bien entendu » poursuit Jenny, pendant que Rudy continue son inspection dans le dortoir d'en face, nommé "Les edelweiss". Les deux casanovas interrogent la gardienne du regard.
— « Y voulait me baiser ce gros connard, alors je lui ai dit que c'était déjà fait ».
Daniel rejette sa couverture en toute hâte, saute de la couchette supérieure et atterrit sur le plancher qui émet un craquement plaintif. Son goût pour les explications s'est envolé.
— « Y pèse combien ton Rudy ? » s'enquiert Gégé
— « 98 kilos ».
— « Bon, c'est sûr, on se casse » tranche Gégé en tâtonnant dans l'obscurité pour retrouver ses chaussures.
De l'autre côté de la cloison, Rudy continue à herboriser dans le dortoir "Les edelweiss", retournant matelas et couvertures au grand dam de ses occupants ; principalement des occupantes, offusquées par cette ardeur botaniste.
Gégé enfile ses chaussures en grimaçant tandis que Daniel essaie de mettre la main sur ses vêtements.
— « Quand vous serez prêts, sortez par la fenêtre, je vous attends au 4x4 » débite Jenny d'une voix précipitée mais ferme.
Après un regard par la porte entrebâillée en direction des dortoirs, elle ajoute dans un souffle.
— « Refermez derrière moi ». Et elle disparaît.
Gégé rabat le loquet de bois tandis que Daniel achève de s'habiller à la hâte. On entend la porte d'entrée du refuge qui s'ouvre et se referme dans un grincement assourdi. Et juste après, dans la salle principale, le raclement d'un banc heurté violemment qui se renverse. Rudy en a fini avec les dortoirs. Campé au milieu du réfectoire, il lorgne méchamment la porte du réduit. Une marmotte, passant la tête par celle qui mène aux dortoirs, tente une protestation indignée. Mais le bougeoir qui vole vers elle à grande vitesse la dissuade de pousser plus avant sa requête. Les portes se referment, faune et flore s'en retournent prudemment à leur biotope respectif.
La fenêtre du réduit est entre l'œil de bœuf et le hublot. Et sa circonférence n'excède guère celle d'un ballon de basket. Aussi, bien que les deux compères se rangent dans la catégorie des poids welters, s'y glisser n'est pas chose aisée. Gégé passe le premier, pieds en avant. Daniel le soutient pendant qu'il se contorsionne pour franchir l'obstacle. La porte du réduit est secouée d'une violente secousse. Le loquet frémit sous l'impact.
— « Ah mes salauds, c'est là que vous vous planquez ! » rugit Rudy, secouant la porte avec une énergie redoublée.
Une bourrade plus appuyée et le loquet de bois sent ses fibres se distendre tandis que le chambranle tente de se désolidariser des planches qui composent le mur. Gégé, dans une dernière reptation qui lui arrache un grognement de douleur, s'écroule de l'autre côté de la paroi dans l'air frais du petit matin. À l'intérieur, où la température est par comparaison douillette, voire torride, Daniel s'active pour enfourner leurs sacs à dos par l'ouverture, plus ses chaussures de ski qu'il n'a pas eu le temps d'enfiler. Au même moment, le chambranle émet un craquement sinistre. Daniel se propulse dans l'ouverture, chaussettes en avant. Pendant qu'il se tortille pour la traverser, il ne peut s'empêcher de se demander qui du loquet ou du chambranle abdiquera en premier. La réponse ne tarde pas. Dans un fracas d'esquilles éparpillées, les deux rompent dans un bel ensemble. Rudy, emporté par son élan, s'étale au milieu de la minuscule chambrée dans un amoncellement de planches brisées et de poussière. Quelques bûches de bois, dégringolées de leur stère, s'associent à cette symphonie sylvestre. Pour Daniel, il est temps de quitter la scène. L'abatteur se redresse, écarte quelques bûches avec ses mains comme des cognées. Ses yeux de suidé pétillent d'un air mauvais. Le visage est épais. Le cou massif. Et le reste en-dessous, que peine à recouvrir un minuscule marcel d'où débordent des pectoraux monstrueux, à l'avenant. Ça sent la salle de musculation, les protéines en bidon "king size" et la foire internationale du culturisme de Franckfort.
"Il a vraiment une sale tête" pense Daniel "mais on ne peut nier que le garçon soit bien bâti". Sur ces considérations esthétiques, d'un dernier coup de rein il tente de se glisser hors du réduit. Mais une épaule coince. La solution lui arrive sous la forme d'un titanesque coup de poing. Sous l'impact, la tête de Daniel lui rentre dans le cou, l'onde de choc se propage jusqu'à l'épaule, le libérant de son étreinte. Daniel, éjecté du refuge, se retrouve cul par terre et tête sous les étoiles. Il s'absorbe un moment dans leur contemplation. Phénomène curieux, il y a ce soir des étoiles absolument partout. Une vague conscience le ramène sur terre, en même tant qu'un élancement dans la tête.
— « L'autre porc, y m'a frappé ! » s'étonne-t-il « il a perdu la raison ou quoi ? »
— « L'heure n'est pas aux considérations psychologisantes » lui répond Gégé.
Il empoigne Daniel sous les bras et le soulève du sol pendant que sa dernière vertèbre lombaire se fâche définitivement avec sa première vertèbre sacrée. Un bruit de moteur ronfle dans la nuit. Jenny vient de démarrer le 4x4. C'est un vieux Ford pick up avec une cabine trois places et un plateau arrière. Côté refuge, on entend comme un cri de phacochère contrarié. Des bruits de planches martyrisées. Le lit superposé passe un sale quart d'heure. Jenny rapplique bientôt, arrache Daniel à sa contemplation et entraîne Gégé par le bras pendant que ce dernier profite de sa position cassée en deux pour ramasser sacs et chaussures. Tout ce petit monde fait retraite vers le véhicule.
N'ayant pas trouvé trace du second suborneur sur la couchette supérieure, dont les morceaux jonchent désormais le sol avec les débris de la porte, Rudy passe la tête par le petite lucarne circulaire. Dans la pénombre matinale, on pourrait le confondre avec ces trophées, dotés d'un charme tout cynégétique, appliqués aux murs des maisons bourgeoises de nos provinces. Mais un grognement furibond suivi par un « Je vais vous étriper… » éructé par ledit trophée, achève d'en dissiper la poésie. Décidément, on reste dans la cochonnaille.

Les fossiles

Yann Picq ©

"Les trois mousquetons : Batifolage en altitude"

• La neige était une denrée si rare, qu'aux réunions du FUM, on s'échangeait avec des airs de conspirateurs, des informations sur des vallons inviolés en recelant suffisamment pour y ciseler quelques virages. "Combes au nord", "faces nord", "versants exposés nord" : le mot "nord" avait été élevé en quelques semaines au rang de vertu cardinale. Et si des mécréants de peu de foi, lassés d'attendre, avaient filé vers le sud pour des escalades brûlantes, voire des baignades hérétiques, le reste de la troupe faisait corps autour des anciens qui racontaient comment, il y dix ans, en proie aux mêmes affres, on avait été jusqu'à skier sur des éboulis pour remédier au désœuvrement général. Égarement qui avait plus ou moins inauguré l'apparition du virage sauté avec rétropédalage – la glisse sur cailloux s'avérant problématique – une technique qui avait fait de nombreux émules, par le fait qu'elle était utilisable en tous terrains, même enneigé. Les réunions bruissaient des rumeurs de destinations miraculeuses. On écoutait avec incrédulité tel voyageur, revenant d'un pays limitrophe, ayant skié dans quarante centimètres d'une poudreuse de cinéma. On faisait cercle autour du récitant. L'office pouvait commencer. Le mot suppléait à l'absente ; les phrases dessinaient des courbes dans son épaisseur accueillante ; une subordonnée miraculeuse, et le public était transporté sur une pente irisée offrant sa blancheur virginale à des spatules fureteuses et euphoriques. Là où l'action vient à manquer, seules les histoires tiennent encore les hommes debout. On se passionnait pour la météorologie, le trou dans la couche d'ozone, l'art divinatoire des tarots ; et même le KamaSutra, pour les plus désespérés. Bref, la communauté était en manque, ce qui faisait remonter par symétrie la cote des demoiselles, même débutantes, et des écologistes, même délirants. La compagnie la plus recherchée étant celles des individus qui cumulaient les deux qualités ; même moches. Le désespoir était à son acmé.

mercredi 9 mai 2012

Mousquetones en balade

Yann Picq ©

"Les trois mousquetons : la nuit du 4 août"

• Combien de temps ont-ils erré dans cet espace sans repères ? Combien de chemins y ont-il tracé ? Progresser dans une tempête, s'apparente à un exercice philosophique qui consiste en ceci. Il faut faire comme si la réalité existait, et s'y tenir, au risque de la voir disparaître effectivement. Ils ont longtemps marché en direction d'un but invisible, tourné en rond ; emprunté maintes fausses routes ; butés au fond d'impasses cotonneuses. Dans ce néant laiteux, transis de froid, saoulés par le vent, ils ont continué à suivre la route tracée dans leur tête, avec obstination…

De la visibilité

Un livre passionnant qui décortique le système médiatique, et par-delà notre société où désormais il prédomine, dans sa capacité à construire une élite dont l'image est le seul mérite.

Difficile de rendre compte de la richesse de cet ouvrage. Quelques extraits en donneront la teneur :

- "S'il est vrai que l'invisibilité est devenue l'une des formes de la pauvreté, la visibilité, à l'inverse, signe l'appartenance à une nouvelle élite".

- Où il est question du "besoin d'extimité".

- La beauté est devenue plus qu'une valeur : un capital. "Voilà qui fait dire au sociologue que l'on assiste à une "revitalisation symbolique des aristocraties".

- Une remarque qui a l'air évidente mais dont les implications sont colossales : "De nos jours, au lieu de voir comme jadis quelques centaines de visages dans le cours d'une vie, nous pouvons en voir un millier au cours d'une seule émission d'actualités télévisée".

Remarque à rapprocher de la phrase de Baudrillard ouvrant "La société de consommation" : "A proprement parler, les hommes de l'opulence ne sont plus tellement environnés, comme ils le furent de tout temps, par d'autres hommes que par des objets".

On pourrait dire que ces visages aperçus sur les écrans ne sont plus tout à fait des hommes non plus, presque des icônes… presque des objets…

Du grain à moudre non ?

Et pour conclure très provisoirement, sur les écrivains et leur image :

- … (on ne contrôle pas son image comme on le fait de son écriture), ensuite parce que la reconnaissance du grand public (mettre un visage sur un nom) n'est pas la bonne monnaie de la reconnaissance littéraire (confirmer la valeur de l'oeuvre)…